TICAD 9 en perspective: Avantages et Risques

La Neuvième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD 9), tenue à Yokohama en août 2025, représente une étape importante dans les relations Afrique–Japon. Centrée sur la co-création de solutions innovantes, l’avancement de l’Agenda 2063 et le renforcement du commerce, de la technologie et de l’intégration régionale, la TICAD 9 souligne à la fois des opportunités et des risques pour le développement durable de l’Afrique.

ARTICLE ANALYTIQUE

stephanie Mwangaza Kasereka

8/22/20256 min temps de lecture

1. Introduction

Du 20 au 22 août 2025, la ville de Yokohama, au Japon, a accueilli la neuvième session de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD 9). Aux côtés du Japon, 49 nations africaines ont participé, ainsi que des dirigeants d’organisations internationales, des représentants du secteur privé et des membres de la société civile.

L’objectif global de la TICAD 9 est de renforcer la coopération entre le Japon et le continent africain. Le sommet de cette année s’est concentré sur deux priorités : premièrement, co-créer avec l’Afrique des solutions innovantes aux défis pressants qui concernent non seulement le continent, mais également le Japon et la communauté internationale ; et deuxièmement, faire progresser les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, en mettant l’accent sur l’Agenda 2030 et l’Agenda 2063 de l’Union africaine.

Cet article examine les opportunités et les défis de la TICAD 9, en soulignant les implications pour le développement de l’Afrique et son rôle dans le façonnement des partenariats internationaux.

2. Contexte

La coopération entre le Japon et l’Afrique à travers la TICAD a débuté en 1993, à l’ère post-guerre froide. À l’époque, le Japon cherchait à combler un vide dans les partenariats internationaux de l’Afrique, en particulier dans le domaine de l’aide. Le premier sommet TICAD s’est tenu à Tokyo en octobre 1993, avec un accent principal sur l’aide au développement.

Depuis, chaque sommet TICAD a reflété le climat géopolitique et économique du moment. Les thèmes ont inclus l’appropriation et le partenariat, la sécurité humaine, la croissance des économies émergentes et le développement durable. Alors qu’à ses débuts la TICAD visait à pallier l’absence d’autres donateurs, le Japon a progressivement introduit un changement clé : intégrer les perspectives et la participation des pays africains bénéficiaires.


Pour la TICAD 9, quatre grands thèmes ont été mis en avant afin de garantir une co-création efficace et une meilleure cohérence avec les agendas mondiaux et continentaux, tels que l’Agenda 2030 des Nations unies et l’Agenda 2063 de l’Union africaine :

  • Croissance durable dirigée par le secteur privé : passer de la dépendance à l’aide vers l’investissement, le commerce et les partenariats commerciaux.

  • Autonomisation des jeunes et des femmes : investir dans l’éducation et la formation, tout en promouvant une croissance inclusive tirant parti du potentiel démographique africain.

  • Intégration et connectivité régionales : soutenir le développement des infrastructures, promouvoir les nouvelles technologies et s’aligner sur la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).

  • Technologie et innovation : encourager la transformation numérique, l’adoption de nouvelles technologies et le transfert de savoir-faire entre le Japon et ses partenaires africains.

3. Opportunités offertes par la TICAD 9

La TICAD constitue une plateforme unique de coopération Afrique-Japon qui dépasse les cadres traditionnels de l’aide. Bien utilisée, elle peut contribuer au développement à long terme et à la coopération bilatérale, offrant des avantages économiques, diplomatiques et politiques.


a.Opportunités économiques
La TICAD 9 met l’accent sur des projets transformateurs et des partenariats capables d’accélérer la trajectoire de développement de l’Afrique. Des initiatives telles que la Zone économique Inde-Afrique de l’océan Indien et le corridor de Nacala, reliant le port de Nacala (Mozambique) au Malawi et à la Zambie par routes et chemins de fer, facilitent le commerce, notamment pour les pays enclavés comme le Malawi et la Zambie. L’implication accrue du secteur privé soutient également une croissance durable, réduisant la dépendance aux agendas politiques.


b.Intégration régionale et connectivité
Les initiatives d’infrastructure, comme le corridor de Nacala, jouent un rôle central dans le renforcement de l’intégration continentale. En développant les routes, les chemins de fer et les ports, ces projets réduisent les coûts du commerce, stimulent les exportations agricoles et industrielles et offrent aux 16 pays africains enclavés un accès aux marchés mondiaux. L’alignement de la TICAD avec l’Agenda 2063 de l’UA et la ZLECAf renforce cette intégration. De plus, l’expertise japonaise en innovation numérique offre des opportunités précieuses, notamment dans la gouvernance électronique, la fintech et la formation en compétences numériques. Le Japon s’est par exemple engagé à former 30 000 experts en IA en trois ans pour renforcer les technologies émergentes en Afrique (AllAfrica, 2025).


c. Avantages diplomatiques et politiques
La TICAD 9 permet aux pays africains de dialoguer avec un membre du G7, tout en diversifiant leurs partenariats au-delà des acteurs traditionnels (États-Unis, France, Chine). Son approche de co-création donne aux gouvernements et organisations africains un rôle actif dans la définition des priorités, en faisant un cadre de coopération authentique et non une simple initiative d’aide.

4. Défis et risques de la TICAD 9

a.Risque de dépendance
La dépendance potentielle à l’aide et aux prêts reste un défi. Les 5,5 milliards de dollars de prêts annoncés (Africanews, 2025) risquent d’aggraver la vulnérabilité de pays déjà endettés. La Zambie, par exemple, a fait défaut en novembre 2020 sur un paiement de 42,5 millions de dollars d’Eurobond (Georgetown University, 2021; FinDev Lab, 2021; Africanews, 2020), tandis que le Ghana a dû recourir à un programme du FMI après avoir suspendu le service de sa dette (Reuters, 2022). Les prêts, contrairement aux dons, peuvent réduire la marge de manœuvre politique.


b.Risque géopolitique
La TICAD s’inscrit dans un contexte de compétition mondiale, où le Japon rivalise avec la Chine, particulièrement active dans les infrastructures africaines (ex. chemin de fer Mombasa-Nairobi, Addis Abeba-Djibouti). Ces projets sont parfois critiqués comme servant avant tout les intérêts stratégiques de Pékin, soulignant la nécessité pour l’Afrique d’équilibrer ses partenariats.


c. Risque d’un manque d’appropriation africaine
Bien que la TICAD promeuve la co-création, il existe un risque que les projets restent dominés par les donateurs. Pour transformer cette dynamique, les États africains doivent s’approprier l’agenda, orienter les investissements et affirmer leurs priorités.

5. Recommendations / Perspectives

La TICAD 9 représente une opportunité de mobiliser des ressources, des investissements et des technologies pour l’Afrique. Pour en tirer pleinement parti, les pays africains doivent agir en partenaires égaux et non en bénéficiaires passifs.
Recommandations clés :

  • Définir activement l’agenda en alignant les projets TICAD sur l’Agenda 2063 et les plans nationaux.

  • Mobiliser le secteur privé pour assurer des investissements durables et créateurs d’emplois.

  • Renforcer la transparence grâce à des mécanismes de suivi pour maximiser l’impact local.

  • Développer les capacités africaines en matière de compétences numériques, de négociations commerciales et de transferts technologiques.

6. Conclusion

La TICAD 9 illustre la double nature de la coopération internationale : elle offre de grandes opportunités (croissance économique, infrastructures, innovation, diplomatie), mais aussi des risques (endettement, rivalités géopolitiques, manque d’appropriation).
La réussite dépendra de la direction stratégique africaine. Si l’Afrique affirme ses priorités et le Japon reste engagé dans une relation d’égal à égal, la TICAD peut devenir un tournant, renforçant une croissance durable et autodéterminée.

References

  • Africanews. (2025, août). Le Japon dévoile un plan de 5,5 milliards de dollars et une formation en IA pour renforcer les liens avec l’Afrique. Africanews. https://www.africanews.com

  • Commission de l’Union africaine. (2023). Deuxième rapport continental de suivi sur l’Agenda 2063. Union africaine. https://au.int/sites/default/files/documents/41480-doc-2nd_Continental_Progress_Report_on_Agenda_2063_English.pdf

  • Associated Press. (2025, août). Le Japon accueille un sommet Afrique et cherche à renforcer les liens économiques dans la région. AP News. https://apnews.com

  • Institut d’études de sécurité. (2023). Quand la dette et le terrorisme se croisent : le cas du Mozambique. ISS Africa. https://issafrica.org

  • Agence japonaise de coopération internationale. (2023). Trois décennies de promotion de l’appropriation et du partenariat : un regard sur l’histoire de la TICAD. Vers une Afrique résiliente, inclusive et prospère. JICA. https://www.jica.go.jp

  • Ministère des Affaires étrangères du Japon. (2025). 9e Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD 9) : cérémonie d’ouverture et session plénière 1 (Paix et sécurité). Ministère des Affaires étrangères du Japon. https://www.mofa.go.jp

  • Reuters. (2022, décembre). La restructuration de la dette du Ghana franchit une nouvelle étape. Reuters. https://www.reuters.com

  • The EastAfrican. (2025, août). Le Japon cherche à accroître ses investissements en Afrique face à l’influence de la Chine. The EastAfrican. https://www.theeastafrican.co.ke

  • Nations Unies, Bureau du Conseiller spécial pour l’Afrique. (2025). TICAD 9. Nations Unies. https://www.un.org/osaa

  • AllAfrica. (2025, 22 août). Afrique : Déclaration de Yokohama TICAD 9 « Co-créer des solutions innovantes avec l’Afrique ». AllAfrica. https://allafrica.com/stories/202508220168.html