Déconstruire les discours idéologiques sur Israël et l’Iran depuis une perspective du Sud global

Introduction

La récente montée des hostilités entre l’Iran et Israël s’enracine dans une longue histoire de rivalités politiques, de contestations idéologiques et de déséquilibres de pouvoir.

Les tensions couvent depuis des décennies, culminant le 13 juin 2025 (Gulf News, 2025), lorsque des frappes israéliennes ont visé des installations nucléaires iraniennes présumées. Téhéran a réagi par des représailles, intensifiant ainsi le conflit. Les États-Unis sont intervenus en frappant trois sites atomiques iraniens, avant d’appeler à un cessez-le-feu – un cessez-le-feu fragile, observé de manière inégale par les deux parties.

Cet article cherche à recadrer le débat en adoptant une perspective du Sud global – une perspective souvent négligée mais cruciale pour comprendre le conflit Israël-Iran. Cette approche met en avant l’expérience humaine, interroge le pouvoir structurel et remet en question les récits hégémoniques. Comme l’a souligné Edward Said : « Les récits ne sont jamais innocents. Ce sont des instruments de pouvoir. »

Critique par Discours

Cinq récits dominants ont façonné la réponse internationale au conflit Israël-Iran. Ces récits sont porteurs de motivations idéologiques qui tendent à occulter les perspectives marginalisées. Nous analysons ci-dessous chacun de ces récits et proposons une contre-lecture ancrée dans la pensée critique du Sud global.

1. Résistance contre le sionisme (Narratif conduit par l’Iran)

L’Iran présente ses actions comme faisant partie d’une lutte idéologique plus large contre le sionisme, se positionnant en défenseur des peuples opprimés et de la solidarité islamique. Au cœur de cette stratégie se trouve « l’Axe de la résistance » (Ataie, 2024), une coalition comprenant le Hezbollah, le Hamas et les Houthis, mobilisée contre l’impérialisme occidental et particulièrement contre l’occupation israélienne des territoires palestiniens.

Bien que ce récit repose sur des griefs légitimes, il masque souvent la consolidation autoritaire du pouvoir en Iran et l’instrumentalisation de la cause palestinienne pour justifier des guerres par procuration. Il réduit au silence la dissidence intérieure et dissimule les crises internes qui affectent la population iranienne.

Depuis la perspective du Sud global, il est crucial de distinguer la résistance authentique de son instrumentalisation par l’État. Les acteurs géopolitiques ne doivent pas détourner la lutte palestinienne à des fins d’ambition nationale. Ce récit met en garde contre l’usage rhétorique de l’anti-impérialisme pour masquer l’expansionnisme ou réprimer les aspirations démocratiques.

2. Sécurité et survie (Narratif conduit par Israël)

Israël justifie ses actions militaires comme étant essentielles à sa sécurité nationale et à sa survie, affirmant faire face à des menaces existentielles, notamment de l’Iran. Les frappes préventives seraient nécessaires pour éviter une escalade nucléaire et une déstabilisation régionale. Ce discours s’appuie sur les traumatismes du passé, en particulier la Shoah, et renforce un droit à l’autodéfense agressive.

Cependant, cette approche occulte le rôle d’Israël dans la déstabilisation régionale à travers la surveillance, l’occupation et l’usage disproportionné de la force. Elle délégitime souvent la critique et marginalise la souffrance des civils palestiniens, en particulier à Gaza, où les besoins humanitaires sont critiques (OCHA, 2025).

Pour le Sud global, ce récit est un avertissement sur les dérives possibles du traumatisme collectif et de l’exceptionnalisme justifiant le militarisme. Il pose des questions cruciales : qui définit la sécurité ? Et quelle vie mérite d’être protégée dans un monde postcolonial ? Des interrogations fondamentales pour bâtir un cadre de sécurité équitable.

3. Guerre par procuration (Narratif régional)

Ce récit présente le conflit comme une lutte de pouvoir régionale, menée par procuration dans plusieurs pays du Moyen-Orient, notamment au Liban, en Syrie et au Yémen (UNHCR, 2024). L’Iran et Israël y apparaissent comme deux puissances jouant une partie d’échecs géopolitique à travers des forces locales.

S’il contient une part de vérité, ce récit nie l’agence d’autres acteurs non étatiques et des populations locales. Des groupes comme le Hezbollah, le Hamas ou les Houthis, ainsi que des États comme l’Arabie Saoudite et les États-Unis, ne sont pas de simples pions – ils ont leurs propres stratégies.

Il est essentiel de ne pas réduire les luttes locales à des marionnettes de rivalités globales. Connaître les causes profondes des conflits permet de préserver leur contexte historique et culturel, et évite leur simplification à des enjeux d’agendas étrangers.

4. Tensions nucléaires (Narratif occidental)

Les États occidentaux invoquent fréquemment la crainte que l’Iran développe une capacité nucléaire militaire, perçue comme une menace pour la sécurité régionale et mondiale. Ces craintes justifient une surveillance accrue par l’AIEA, des sanctions diplomatiques et des frappes militaires préventives (Khan, 2025). Pendant ce temps, Israël entretient l’ambiguïté autour de son arsenal nucléaire. De plus, Israël n’est pas signataire du Traité de non-prolifération (TNP) et échappe donc aux contrôles internationaux (Middle East Eye, 2025).

Il faut aussi rappeler que l’article IV du TNP autorise explicitement l’usage pacifique de la technologie nucléaire. Cela signifie que les pays peuvent utiliser les matires atomic pour des actions civiles. Ce double standard révèle comment certains discours peuvent être instrumentalisés pour préserver des hiérarchies globales et restreindre le développement technologique des États du Sud.

Un régime de non-prolifération plus juste doit garantir un traitement équitable et cohérent entre les États. Le Sud global doit s’opposer à ces asymétries et plaider pour une gouvernance nucléaire fondée sur la transparence, l’équité et la responsabilité mutuelle.

5. Le grand jeu des puissances

Ce récit situe le conflit dans une rivalité mondiale plus large opposant les puissances alliées aux États-Unis – Israël et les membres de l’OTAN – à une coalition montante menée par la Chine, la Russie et l’Iran. Le Moyen-Orient devient alors un champ stratégique dans un monde multipolaire.

Certains analystes insistent sur l’importance d’inscrire les tensions Iran–Israël dans le cadre de la compétition États-Unis–Chine–Russie. Le Financial Times rapporte que la Chine commence à « reconsidérer l’isolationnisme de Donald Trump » à la suite des frappes américaines, preuve que Pékin suit de près les évolutions régionales. L’OTAN appelle à la désescalade, tout en soulignant l’importance de la dissuasion. Ce contexte illustre à quel point le Moyen-Orient reste un terrain d’intérêts géopolitiques majeurs.

Mais ce récit, bien qu’ancré dans les réalités géopolitiques, invisibilise les vies humaines. Il réduit les conflits à un jeu de perdant-gagnat entre grandes puissances, ignorant les souffrances à Gaza, Beyrouth ou Sanaa (Middle East Eye, 2025). Il normalise le militarisme comme outil diplomatique et perpétue la logique impérialiste.

Pour le Sud global, cela rappelle que la souveraineté est souvent sacrifiée par les grandes puissances en depend des stratégies. Il faut résister à une diplomatie de jeu d’échecs, qui transforme les peuples en pions. Il est impératif de recentrer nos réponses autour de la justice, de la dignité humaine et de la responsabilité.

Conclusion

En juin 2025, un cessez-le-feu reste en vigueur. Mais les racines du conflit sont profondes et sa résolution exige une approche minutieuse. Elle suppose de repenser les récits dominants, de s’engager pour la justice, et de rejeter l’exceptionnalisme militarisé. Le Sud global doit adopter une lecture nuancée, amplifier les voix des populations affectées, et remettre en cause les systèmes qui perpétuent les inégalités. C’est à ce prix que nous pourrons faire face à de futures escalades imprévues.

Références

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2. Al Jazeera. (2025, June 22). World reacts to US attacks on Iran. https://www.aljazeera.com/news/2025/6/22/everlasting-consequences-world-reacts-to-us-attacks-on-iran

3. Al Jazeera. (2025, June 25). Why Iran conflict has raised new questions about IAEA’s credibility. https://www.aljazeera.com/news/2025/6/25/why-iran-conflict-has-raised-new-questions-about-iaeas-credibility 

4. Ataie, M. (2024, October 14). How the Axis of Resistance is shaping the Middle East. Middle East Eye. https://www.middleeasteye.net/big-story/middle-east-axis-resistance-shaping-how

5. CNN. (2025, June 13). What you need to know about Iran’s nuclear program [News article]. https://www.cnn.com/2025/06/13/middleeast/iran-nuclear-program-explainer-intl-dg

6. Gulf News. (2025, June 18). All you need to know about the Iran-Israel conflict and what’s next. https://gulfnews.com/world/mena/all-you-need-to-know-about-the-iran-israel-conflict-and-whats-next-1.500169473

7. Human Rights Watch. (2025). World report 2025: Yemen. https://www.hrw.org/world-report/2025/country-chapters/yemen

8. Mandate Brief. (2025, October 18). The Axis of Resistance. https://www.mandatebrief.com/article/the-axis-of-resistance

9. Middle East Eye. (2025, May 27). 'Unprecedented' civilian death toll in Yemen from US air strikes, says report. https://www.middleeasteye.net/news/unprecedented-civilian-death-toll-yemen-us-air-strikes-says-report

10. MSN. (2025, June 23). Republicans and Democrats agreed on Iran’s nuclear weapons threat. https://www.msn.com/en-us/news/world/republicans-and-democrats-agreed-on-irans-nuclear-weapons-threat/ar-AA1Hh6zQ

11. The New York Times. (2025, June 25). In Iran, IAEA inspectors confront new restrictions amid rising tensions. https://www.nytimes.com/2025/06/25/world/middleeast/iran-iaea-inspectors.html

12. TIME. (2025, June 27). How China is trying to position itself as a mediator in the Iran-Israel dispute. https://time.com/7296139/china-iran-israel-us-weapons-mediate-war-peace-oil-diplomacy/

13. United Nations High Commissioner for Refugees. (2024, November 7). Lebanon–Syria humanitarian and displacement crisis continues to deepen [Press release]. https://www.unhcr.org/news/briefing-notes/unhcr-lebanon-syria-humanitarian-and-displacement-crisis-continues-deepen

14. United Nations High Commissioner for Refugees. (2024, November 30). UNHCR urges support as Lebanon crisis displaces over 1.3 million. UNHCR. https://www.unhcr.org/news/briefing/2024/11/6568fe1f4/unhcr-urges-support-lebanon-crisis-displaces-13-million.html

15. United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. (2025, May 7). Humanitarian situation update #286 | Gaza Strip. https://www.ochaopt.org/content/humanitarian-situation-update-286-gaza-strip