Analyse d’une controverse : réforme des terres et attaques de fermes en Afrique du Sud
À l’occasion de la visite du président Ramaphosa à Washington, D.C., en 2025, cette analyse explore la relation complexe entre l’Afrique du Sud et les États-Unis, en mettant l’accent sur la réforme agraire, la Loi d’expropriation n° 13 de 2024 et les allégations de persécution des fermiers blancs. Elle examine le contexte historique des inégalités foncières, les récentes préoccupations liées aux réfugiés, ainsi que les réponses diplomatiques des États-Unis, soulevant des questions sur les droits humains, la souveraineté et l’influence internationale. Quelles en sont les implications pour l’avenir des relations entre les États-Unis et l’Afrique du Sud ?
ARTICLE ANALYTIQUE
Stephanie Mwangaza Kasereka
6/13/20257 min temps de lecture
Le 19 mai 2025, le président sud-africain Cyril Ramaphosa est arrivé à Washington, D.C., dans le but de renforcer la coopération diplomatique et économique avec les États-Unis. Cette visite s’est tenue alors que les premières vagues de réfugiés sud-africains blancs arrivaient aux États-Unis, invoquant des attaques ciblées contre les fermiers blancs et la mise en œuvre récente de la loi d’expropriation de 2024. Cette législation, qui autorise l’expropriation des terres sans compensation sous certaines conditions, est jugée discriminatoire par ses détracteurs. Cet article analyse l’évolution du cadre de réforme foncière en Afrique du Sud dans ses contextes historique, juridique et sociopolitique. Il évalue également la légitimité et les implications des réactions internationales, notamment celle des États-Unis, dans le cadre plus large des droits humains et de la souveraineté.
Contexte : La République d’Afrique du Sud (RSA)
L’Afrique du Sud est historiquement connue pour avoir surmonté une époque brutale de ségrégation raciale institutionnalisée appelée apartheid, mise en place à partir de 1948. Ce qui distinguait l’apartheid d’autres formes de ségrégation, c’est qu’il s’est poursuivi au XXe siècle en tant que système juridique codifié, imposé par le Parti national (NP), dominé par les Afrikaners (descendants de colons néerlandais, français et scandinaves). Ce régime a soumis la majorité de la population en les classifiant selon des catégories raciales : Noirs, "coloured" (métis) et Indiens/Asiatiques. Les lois de l’apartheid étaient strictement appliquées, et toute violation entraînait des poursuites judiciaires (South African History Online, 2022). Ce système discriminatoire a pris fin en 1994 lors des premières élections démocratiques et multiraciales avec l’élection de Nelson Mandela.
1.1 Aperçu de la loi sur l’expropriation n°13 de 2024 : Objectifs, justifications et critiques
La RSA a mis en œuvre plusieurs mesures de réforme foncière avant, pendant et après l’apartheid. La dernière en date est la loi sur l’expropriation n°13 de 2024, adoptée en décembre 2024 (Republic of South Africa, 2024).
La première loi importante en la matière fut la loi sur l’expropriation n°63 de 1975, qui autorisait l’expropriation à des fins d’utilité publique. Toutefois, étant promulguée sous l’apartheid, elle offrait peu de protection aux propriétaires noirs. Elle succédait à la loi foncière de 1913, qui interdisait aux Noirs de posséder des terres en dehors des "réserves indigènes" (13% du territoire). Ces lois successives ont consolidé un système de spoliation foncière raciale. La version de 2024 supprime la composante raciale de l’ancienne législation.
La loi de 2024 introduit les éléments suivants :
Elle autorise l’expropriation à des fins d’utilité publique ou d’intérêt public ;
Elle fixe les procédures et les critères pour déterminer une compensation juste et équitable ;
Elle prévoit des cas où une compensation nulle (« nil compensation ») peut être jugée conforme à l’intérêt public (Africa Check, 2024).
Le concept de "nil compensation" est au cœur des critiques. Bien que l’objectif de la loi soit l’équité et l’utilité publique, ses opposants s’inquiètent de ses effets sur les droits de propriété, la sécurité juridique et la stabilité économique.
Demandes d’asile et préoccupations en matière de droits humains
2.1 Attaques contre les fermiers blancs en Afrique du Sud : Rapports et preuves
Entre 2014 et 2024, 635 meurtres de fermiers ont été recensés. Dans une période antérieure (1991-2001), 1 254 fermiers avaient été tués (South African Police Services, 2003). Bien que ces chiffres soient alarmants, ils doivent être replacés dans le contexte plus large de la criminalité en Afrique du Sud. En 2024, le pays comptait en moyenne 70,6 meurtres par jour (BusinessTech, 2024).
Le taux mondial moyen d’homicide en 2023 était de 6 pour 100 000 habitants. En comparaison, l’Afrique du Sud affichait un taux de 21 pour 100 000 en 2023, qui est tombé à 10,6 en 2024 puis à 9,1 en 2025 (Data Pandas, 2025). Ces chiffres, bien qu’encourageants, restent supérieurs à la moyenne mondiale, indiquant une insécurité persistante touchant toutes les catégories de population.
2.2 Politique des États-Unis envers les demandeurs d’asile sud-africains
En réaction à la loi d’expropriation, l’ancien président américain Donald Trump a publié un décret accusant le gouvernement sud-africain de cibler les fermiers blancs pour des confiscations foncières sans compensation. Le décret dépeint cette loi comme un exemple de discrimination et de violations des droits humains envers une minorité. Il prévoyait la suspension de l’aide et de la coopération bilatérale si aucune mesure corrective n’était prise.
Toutefois, certains critiques estiment que la question a été instrumentalisée à des fins politiques. L’inquiétude exprimée vis-à-vis des fermiers sud-africains devrait aussi s’appliquer à d’autres populations vulnérables dans le monde.
2.3 Perspective des droits humains internationaux : Cela constitue-t-il une persécution ?
La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés définit la persécution comme un traitement systématique ou des atteintes graves en raison de la race, religion, nationalité, appartenance à un groupe social ou opinion politique. Pour que cela s’applique, les auteurs doivent généralement être les autorités étatiques ou des acteurs non-étatiques en l’absence de protection gouvernementale.
En Afrique du Sud, les actes violents ne semblent pas résulter d’une campagne raciale organisée contre les Afrikaners. Ils relèvent plutôt de problèmes systémiques : pauvreté, criminalité, défaillance policière.
Concernant la loi de 2024, rien ne prouve que l’expropriation vise spécifiquement les Afrikaners. Elle vise l’utilité publique. Même si les fermiers blancs détiennent encore environ 83% des terres agricoles (Brand South Africa, 2021), d’autres propriétaires seront également concernés.
À titre comparatif, aux États-Unis, les autorités locales peuvent saisir des biens pour des projets publics, via le droit d’expropriation ("eminent domain"). Un exemple notable : l’extension de l’Interstate 10 au Texas, qui a entraîné des expropriations de maisons et commerces (Padua Law Firm, 2022).
Relations États-Unis – Afrique du Sud : Coopération ou conflit ?
3.1 Aperçu de la relation bilatérale
Historiquement, les relations diplomatiques ont été complexes. Sous l’apartheid, les États-Unis ont critiqué les politiques racistes, tout en adoptant une politique étrangère anticommuniste contestée.Depuis 1994, les États-Unis ont soutenu la transition démocratique sud-africaine via des partenariats économiques comme l’AGOA, où l’Afrique du Sud est un acteur clé (Ray C.A., 2025).Récemment, la RSA a diversifié ses alliances, notamment avec la Chine, la Russie et l’Iran, adoptant une posture non occidentale dans les affaires mondiales (Carroll A., 2017).
3.2 Points clés de la visite de Ramaphosa
La visite à Washington visait à répondre aux accusations de "génocide" contre la minorité blanche, en particulier les fermiers. Ramaphosa a souligné que la criminalité touche toutes les communautés. La rencontre a permis de clarifier le contexte interne et de réaffirmer les liens bilatéraux.
3.3 Réactions récentes des États-Unis
L’adoption de la loi n°13 a suscité une réaction ferme de l’administration américaine, avec un décret dénonçant une discrimination ciblée. L’aide pourrait être suspendue si des mesures ne sont pas prises. Cela illustre la sensibilité internationale des questions foncières et les tensions entre souveraineté nationale et normes internationales.
Perspectives d’avenir
Il y a des aspects positifs et négatifs dans cette dynamique. Le dialogue direct entre dirigeants est un signe encourageant. Cependant, le recours à l’aide comme levier diplomatique interroge la capacité des États à agir de manière souveraine. Le décret américain peut être perçu comme une ingérence.Les sanctions internationales se justifient en cas de violations flagrantes du droit. Or ici, les allégations de persécution ne sont pas fondées sur des preuves concluantes. Les difficultés sud-africaines semblent d’abord relever de défis internes que le gouvernement doit relever.
Conclusion
La visite de Ramaphosa marque une étape importante dans la clarification mutuelle. Mais la pression américaine soulève des débats sur l’ingérence et la souveraineté. Les deux pays gagneraient à entretenir un dialogue fondé sur le respect mutuel et des faits objectivés. Les réponses internationales doivent être équitables, fondées sur des preuves, et libérées de tout parti pris politique.
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