Acteurs externes à la table : la médiation internationale peut-elle favoriser la paix locale ?

ARTICLE ANALITIQUE

stephanie Mwangaza kasereka

7/24/20259 min temps de lecture

Les efforts de médiation entrepris par Doha dans le conflit entre la République démocratique du Congo (RDC) et le groupe rebelle du Mouvement du 23 mars (M23) ont suscité de nombreuses critiques. Ces préoccupations ne sont pas dénuées de fondement, car elles reflètent des craintes quant à l’externalisation des processus de paix, à la marginalisation des initiatives africaines, ainsi qu’à la possible normalisation des acteurs armés non étatiques par la reconnaissance diplomatique.

Néanmoins, ces critiques omettent souvent de prendre pleinement en compte la transformation structurelle plus large qui affecte la résolution des conflits contemporains, en particulier dans un système international de plus en plus interconnecté. L’implication d’acteurs non traditionnels ou locaux comme le Qatar marque un tournant dans les modalités de la construction de la paix. L’engagement diplomatique n’est plus exclusivement l’apanage des puissances proches ou traditionnelles, mais est désormais façonné par un ensemble diversifié d’acteurs globaux. Cette évolution est emblématique d’un environnement diplomatique multipolaire où des États plus petits, disposant d’un levier stratégique et d’un capital réputationnel, jouent des rôles d’intermédiaires dans des conflits bien au-delà de leur sphère géographique immédiate.

Ainsi, s’il est important d’examiner les implications de la médiation de Doha, il est tout aussi crucial de la situer dans cette architecture changeante de la diplomatie internationale, en évaluant à la fois ses limites et son potentiel à contribuer de manière significative à une paix durable.

La question clé n’est pas de savoir si la médiation externe, ici Doha, est intrinsèquement bonne ou mauvaise, mais plutôt : comment peut-on utiliser cette médiation de manière responsable pour servir les intérêts de la paix, de la justice et des populations les plus affectées ?

1. Au-delà de la géographie : Qui peut Être médiateur

Historiquement, la médiation des conflits a largement été l’apanage des acteurs régionaux et des puissances occidentales traditionnelles. Par exemple, pendant la guerre de Bosnie (1992–1995), qui a éclaté après l’effondrement de la Yougoslavie, l’Union européenne (UE) et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont joué un rôle clé dans la négociation des accords de Dayton, qui ont mis fin au conflit. En Asie, un exemple notable de médiation régionale est celui des accords de Paris sur le Cambodge en 1991, négociés par l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN). De même, en Amérique centrale, les conflits au Salvador, au Guatemala et au Nicaragua ont été médiés en 1983 par le groupe Contadora, composé du Mexique, de la Colombie, du Venezuela et du Panama. Au Moyen-Orient, les accords de Camp David en 1978, dirigés par les États-Unis, ont abouti à un accord de paix entre l’Égypte et Israël. Plus récemment, l’accord entre la RDC et le Rwanda, signé à Washington en juin 2025, s’inscrit dans cette tradition d’efforts de paix menés par l’Occident.

Les efforts de médiation actuellement entrepris par Doha dans le conflit RDC-M23 ont été critiqués, notamment en raison du statut du Qatar en tant qu’acteur non régional et non traditionnel occidental. Les critiques avancent que les acteurs régionaux, qu’ils soient États ou organisations, sont mieux placés pour diriger la médiation du fait de leur proximité géographique, de leur familiarité culturelle et de leurs liens historiques avec les parties concernées. Dans le cas de la RDC, des institutions telles que l’Union africaine (UA), la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), l’Angola ou la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) sont généralement considérées comme des médiateurs plus légitimes et efficaces.

Pourtant, l’implication d’un acteur non occidental et non régional comme le Qatar traduit une évolution plus large de la diplomatie mondiale et de la résolution des conflits. À mesure que les relations internationales deviennent plus interconnectées, de nouveaux acteurs émergent comme médiateurs crédibles, souvent porteurs d’approches innovantes et moins chargés des lourds passifs historiques de l’impérialisme. Bien que la légitimité et l’efficacité de ces médiateurs méritent un examen rigoureux, leurs contributions ne peuvent être rejetées d’emblée.

Il est important de souligner que toute médiation, quel que soit son initiateur, doit prioriser les intérêts et le bien-être des victimes du conflit. Les bénéfices pour les parties impliquées doivent être clairement définis, respectés mutuellement, et fondés sur un engagement envers la justice et la paix durable. Dans un contexte de mutation des paysages diplomatiques, l’enjeu ne réside pas dans l’identité du médiateur, mais dans la manière dont la médiation est utilisée de façon responsable et efficace pour mettre fin à la souffrance et construire une paix pérenne.

2. Trouver un équilibre entre engagement externe et appropriation régionale

Dans un monde de plus en plus interconnecté, la résolution efficace des conflits nécessite la collaboration des médiateurs traditionnels et non traditionnels. Plutôt que de considérer les nouveaux acteurs comme des intrus dans un domaine historiquement fermé, leur implication doit être perçue comme une opportunité pour pallier les insuffisances des approches classiques. Les médiateurs traditionnels, États occidentaux, gouvernements locaux, organisations régionales ont joué un rôle central dans les efforts de paix passés, mais chacun présente des limites inhérentes. Les puissances occidentales portent souvent le poids d’agendas géopolitiques ou d’héritages néo-impérialistes, ce qui nuit à la perception de neutralité. Les États locaux, bien que proches et informés du contexte, peuvent être victimes de partialité ou d’implication directe dans le conflit. Les organisations régionales, bien que légitimes, ont tendance à avancer lentement à cause de lourdeurs bureaucratiques, et leur efficacité peut être compromise si une partie clé n’est pas membre ou se retire du cadre institutionnel.

Dans ce contexte, des médiateurs non traditionnels comme le Qatar apportent des stratégies diplomatiques innovantes, une neutralité souvent plus affirmée, et moins de fardeaux historiques. Ils peuvent offrir flexibilité, formats innovants de négociation, et servir de plateformes neutres lorsque les acteurs traditionnels sont compromis ou inefficaces. Ainsi, plutôt que de supplanter les mécanismes existants, ces médiateurs émergents doivent être intégrés dans une architecture de consolidation de la paix plus plurielle et adaptative, où les forces d’un acteur compensent les faiblesses d’un autre. Par exemple, il existe des preuves documentées de médiateurs non traditionnels jouant des rôles clés dans des processus de paix majeurs, comme la facilitation par la Norvège des accords d’Oslo en 1993 entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (Council on Foreign Relations, 2020), ou l’implication discrète du Vatican dans la restauration des relations diplomatiques entre les États-Unis et Cuba en 2014 (The Guardian, 2014).

3. Inclusion : une condition préalable pour une paix durable

Tout processus de médiation crédible visant à résoudre un conflit doit impliquer non seulement les gouvernements des parties concernées, mais aussi les acteurs de la société civile. Dans le cas de la RDC, cela implique la participation active de la société civile congolaise, des communautés locales, et surtout des victimes elles-mêmes. Une faiblesse persistante des médiations traditionnelles est le manque de volonté politique des élites à s’engager dans un dialogue inclusif.

En RDC, le contrôle limité du gouvernement central sur une grande partie du territoire national a contribué à un sentiment généralisé de négligence parmi la population (Bertelsmann, 2024). En conséquence, de nombreux Congolais perçoivent les accords de paix comme déconnectés de leurs réalités quotidiennes.

Pour que la médiation produise des résultats durables, elle doit dépasser la simple gestion à court terme du conflit et s’attaquer aux causes structurelles profondes de l’instabilité, telles que la mauvaise gouvernance, les déplacements forcés et l’exclusion économique chronique. Ce n’est qu’à travers l’inclusion véritable des populations les plus affectées que les processus de médiation peuvent gagner en légitimité, favoriser la responsabilité et contribuer à une paix durable.

4. La responsabilité dans la médiation : éviter la blanchiment des groupes armés

Au-delà de la légitimité des médiateurs non traditionnels se pose la question de la légitimation perçue des groupes rebelles, en particulier le M23. D’une part, engager les groupes armés dans des négociations peut poser un dangereux précédent, où d’autres factions seraient incitées à recourir à la violence pour obtenir une reconnaissance politique ou un pouvoir de négociation. Un tel résultat compromettrait l’objectif fondamental de paix durable, qui est l’aspiration de tout État souverain.

D’autre part, éviter tout engagement avec des groupes qui continuent de causer des torts aux civils soulève de graves préoccupations : comment un accord de paix significatif ou un processus de reddition de comptes peut-il se réaliser sans impliquer les acteurs mêmes responsables des violences ? Toutefois, tout État négociant avec des groupes armés doit maintenir une position de force, garantissant que le dialogue ne récompense pas la criminalité mais ouvre la voie à la justice, au désarmement et à la paix durable.

5. Voie à suivre : conditions pour une médiation responsable

Pour que les médiateurs tiers, en particulier les acteurs non traditionnels, jouent un rôle constructif et efficace dans les processus de paix, plusieurs principes clés doivent être respectés.

  • La transparence est essentielle. Les efforts de médiation doivent s’appuyer sur des objectifs clairement définis, des cadres inclusifs, et une communication continue et ouverte avec le public, notamment les communautés directement affectées. La transparence favorise la confiance et la légitimité, aidant à contrer le scepticisme vis-à-vis de l’ingérence extérieure. 

  • L’appropriation locale doit être au centre des préoccupations. Plutôt que de diriger le processus, les médiateurs tiers doivent agir comme facilitateurs, en donnant aux acteurs nationaux et de la base y compris les organisations de la société civile, les groupes de femmes, les jeunes et les associations de victimes, les moyens de façonner les négociations et la reconstruction post-conflit. Cette approche assure que le processus prend en compte les préoccupations locales et génère des solutions ancrées dans la réalité du terrain. 

  • Des mécanismes de reddition de comptes solides doivent être intégrés tout au long du processus de médiation. Ils incluent le suivi du respect des accords, la documentation et le traitement des violations des droits humains, ainsi que la promotion de la justice et des efforts de réconciliation. Sans responsabilité, les accords de paix risquent de devenir fragiles ou purement symboliques. 

  • La coordination régionale ne doit pas être négligée. Les médiateurs tiers doivent compléter et renforcer les initiatives régionales et continentales, telles que celles menées par l’Union africaine, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), ou la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), qui détiennent souvent des mandats essentiels et une compréhension profonde du contexte. Respecter et impliquer ces acteurs régionaux garantit que les efforts de médiation s’alignent avec les dynamiques politiques plus larges et contribuent à des solutions durables. 

  • Enfin, les principes de neutralité et le respect du droit international doivent guider tout engagement du médiateur. Cela garantit que les processus de paix ne légitiment pas involontairement l’impunité ou ne récompensent pas la violence, mais qu’ils privilégient les droits humains, la justice et la stabilité à long terme. 

Ces principes ne visent pas à éliminer ou affaiblir les outils et acteurs traditionnels de médiation. Ils cherchent plutôt à améliorer et adapter le système global de consolidation de la paix dans un contexte international en rapide évolution. L’inclusion de médiateurs non traditionnels reflète la diversification des acteurs diplomatiques dans un monde multipolaire et offre des opportunités de combler les lacunes où les mécanismes classiques ont peiné. Combinées aux efforts régionaux et internationaux établis, ces nouvelles approches peuvent créer une architecture plus complète, inclusive et efficace pour la résolution des conflits, au service ultime de la paix et des populations concernées.

6. Conclusion

Qu’elle soit initiée par des acteurs traditionnels ou non conventionnels, la médiation doit être mise au service de la paix, de la justice et des intérêts des populations affectées. Alors que la diplomatie mondiale se diversifie, l’émergence de médiateurs non traditionnels marque un changement important dans l’architecture de la paix. Toutefois, pour que cette médiation soit réellement efficace, elle doit être guidée par des principes clés : transparence, participation inclusive, responsabilité, coordination régionale et respect strict du droit international.

Ces principes ne remplacent pas les efforts traditionnels de médiation mais répondent aux manques qu’ils peinent à combler. La médiation doit privilégier les réalités vécues par les communautés affectées, notamment dans des contextes comme la RDC où la légitimité étatique et le contrôle territorial restent fragiles.

En définitive, le succès d’une médiation ne dépend pas de qui la mène, mais de sa structure et de sa capacité à traiter les causes profondes du conflit. Ce n’est qu’ainsi que la médiation externe pourra évoluer d’un simple exercice diplomatique à un véritable instrument de paix et de justice durable.

Références

AP News. (17 décembre 2014). Pope played crucial role in US-Cuba rapprochement. https://apnews.com/article/pope-francis-us-cuba-diplomatic-ties-63b8417065c945e7a26c5aecc5857e52

Bertelsmann Stiftung. (2024). BTI 2024 country report — Congo, Democratic Republic. https://bti-project.org/en/reports/country-report/

Council on Foreign Relations. (22 décembre 2020). Norway: From mediator to persecutor of Israel. https://www.cfr.org/blog/norway-mediator-persecutor-israel

Council on Foreign Relations. (24 juillet 2025). Violence in the Democratic Republic of Congo. Global Conflict Tracker. https://www.cfr.org/global-conflict-tracker/conflict/violence-democratic-republic-congo

Ministère norvégien des Affaires étrangères. (10 octobre 2014). Norway's involvement in the peace process in the Middle East. https://www.regjeringen.no/en/dokumenter/involvement/id420034/

Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). (1995). Dayton Peace Agreement: Conflict prevention and resolution. https://www.osce.org/mission-to-bosnia-and-herzegovina/conflict-prevention-and-resolution

Radio France Internationale. (6 juin 2025). Congo-Kinshasa: Qatar offers proposal in stalled peace talks between DRC and M23. allAfrica.com. https://allafrica.com/stories/202506060285.html

The Guardian. (17 décembre 2014). Pope Francis and the Vatican played key roles in US-Cuba thaw, leaders reveal. https://www.theguardian.com/world/2014/dec/17/us-cuba-pope-francis-key-role